DOULEUR & DÉSESPOIR CHEZ JÉRÉMIE: LAMENTATIONS 5 & 6.1

 

     La 5e lamentation se trouve en Jér. 18, 18-23.  En 18, 18, nous voyons la réaction meurtrière à l’annonce par Jérémie de jugement qui se trouve en 18, 13-17.  Le temps pour la repentance est passé, proclame Jérémie, et le jugement est maintenant inévitable.  L’argile refuse de se laisser modeler par le potier (c.-à-d. Juda refuse de retourner à Yahvé; voir 18, 1-12) et maintenant ce sera jeté.  Le trio d’adversaires – les prêtres, les sages, les prophètes – représente la structure de pouvoir, l’industrie du savoir, et l’autorité religieuse de l’établissement (voir 26, 8-11; 36, 19.26).  La prière de Jérémie débute à 18, 19.  Le langage de la prière est juridique.  Il suggère que Jérémie est en cour, qu’il est accusé, et se tourne vers Yahvé (le juge) afin d’être justifié.  La justification sera basée sur le fait qu’il a agi fidèlement en tant qu’intercesseur et a pratiqué l’obéissance, même si ça s’est avéré une obéissance non-souhaitée.  La demande de Jérémie, c’est pour que Dieu applique les malédictions de l’alliance contre ses ennemis, dont le trio standard de la famine, l’épée, et la peste (18, 21).  Jérémie offre deux raisons pour cette demande – il a fait de bien même pour ses ennemis (18, 20) et il fait confiance au Dieu de justice à qui il remet le verdict en ce qui concerne le sort de ses ennemis.  Jérémie est tout à fait confiant qu’il sera justifié et que ses ennemis seront reconnus coupables.[1]

     La dernière lamentation de Jérémie suit le récit ou il fait l’achat d’une cruche en terre cuite (Jér. 19, 1-2; voir 18, 1-11), et ensuite il se rend à la Val-de-la-Géhenne[2] et y proclame des choses qui font penser à son « sermon au Temple » du chapitre 7 (cp. Jér. 7, 30-34 avec 19, 4-6.10-12).[3]  Après avoir brisé la cruche en présence de quelques anciens et quelques prêtres, Jérémie retourne au Temple et y annonce le jugement contre Jérusalem pour l’échec du peuple d’obéir aux messages de Yahvé (« ils ont raidi leur nuque »; voir 19, 14-15; 17, 23).  Les paroles bien connues de Jésus en Mt. 11, 28-30 auront pu être dites par Jérémie (voir Jér. 6, 16; 5, 5; 31, 18; 11, 2-11).  Juda/Jérusalem ne soumettra pas au joug de Yahvé (c.-à-d. ils n’entendront/obéiront pas à Dieu), donc elle ne vivra pas le shalom de la Terre promise.  Ils ont rejeté la source d’eau vive et se sont contentés des citernes fissurées (Jér. 2, 13).  Juda se rebelle stupidement contre le Seul qui peut lui donner la vie; en effet, elle a choisi la mort (Jér. 8, 1-3; 19, 11; 21, 8-10; voir Dt. 30, 19-20).

     Après avoir dit à Jérémie d’acheter la cruche, Dieu lui dit quoi dire (19, 3-9).  Le discours qu’on retrouve ici s’agit d’un discours juridique en trois parties : une annonce de jugement (v. 3), l’accusation (vv. 4-5) et une description détaillée de la forme qui prendra le jugement (vv. 6-9).  Jérémie se montre tout à fait un héritier de la tradition mosaïque.  Il suit jusqu’à sa conclusion ce qui a toujours été implicite au sein de la tradition.  Depuis Ex. 19, 5-6, toute la vie d’Israël avec Yahvé a été régie par ce « si » inexorable (« si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples… »).  Maintenant, dit Jérémie, le projet dans son ensemble est arrivé à terme.  Nous voici rendus à la fin de la tradition, de l’histoire de Yahvé et son peuple, à la fin du sacré.  Jérusalem fait face dorénavant à la « fin » que la tradition de l’alliance avait anticipée pour les désobéissants.[4]

     Une fois qu’il entend les propos de Jérémie, Pashehour – un fonctionnaire du Temple – frappe (naka) Jérémie (20, 2).  Le même verbe est repris par Jérémie dans sa réplique prophétique aux outrages qu’il a subi de la part de Pashehour en 20, 4 : « …ainsi parle le Seigneur : Voici que je vais faire de toi un épouvantail, pour toi-même et tous tes amis…Je vais livrer tous les gens de Juda aux mains du roi de Babylone. Il les déportera à Babylone ; il les frappera (naka) de l’épée. ».[5]  Après avoir frappé Jérémie, Pashehour « le fit attacher au pilori » (20, 2).  Bien qu’on ne puisse être certain de ce qu’était le « pilori », c’était évidemment un appareil inconfortable qui avait comme objectif l’humiliation du prisonnier.  Cependant, abuser le prophète physiquement n’accomplit pas son but.  Au lieu de faire taire Jérémie, l’abus fait en sorte qu’il prophétise le jugement sur le prêtre qui avait ordonné son supplice[6] (ou qui l’avait accompli personnellement[7]).

     Jérémie rebaptise Pashehour « Épouvante-de-tous-côtés ».  Le Temple (représenté par Pashehour) et la ville de Jérusalem sont maintenant marqués par l’épouvante et non pas par la paix.  Le système a échoué et se trouve alors sous le jugement.  Il est beau de parler de shalom, mais il reste qu’il incarne la terreur.  Donc, il subira la terreur de Dieu.  Le lieu qui était censé garantir la vie est devenu le siège même de la mort.  Le monde symbolique de Jérusalem est maintenant démantelé.  Le démantèlement physique reste à être accompli par les Babyloniens[8], mais le démantèlement est d’abord accompli par la parole prophétique avec son pouvoir d’exposer, accuser et déplacer.[9]



[1] Brueggemann, Walter, A Commentary on Jeremiah, pp. 171-73.

[2] Brueggemann doute que Jérémie ait accompli les directives que Dieu lui a donnés en 19, 1-13, dont aller à la Géhenne : A Commentary on Jeremiah, p. 178; voir cependant Miller, Patrick D. “The Book of Jeremiah”, p. 721, qui prend pour acquis que Jérémie ait fait exactement ce que Yahvé lui a dit de faire, et qu’il s’est ensuite revenu au Temple (d’après ce qui est écrit: 19,14-15).

[3] Certains commentateurs en déduisent que Jér. 19, 1-13 décrit les circonstances dans lesquelles le contenu de 7, 30-34 a été proclamé : Miller, Patrick D. “The Book of Jeremiah”, p. 721.

[4] Brueggemann, Walter, pp. 175-77.

[5] Voir Brown, Michael L. “Jeremiah” in Longman & Garland, eds. The Expositor’s Bible Commentary 7: Jeremiah-Ezekiel, Grand Rapids: Zondervan, 2010, p. 281.

[7] Brown, Michael L. “Jeremiah”, p. 282.

[8] « Babylone » est mentionné dans ce passage (20, 4-6) pour la première fois (4 fois en fait sur un total de 168 fois dans le livre): Miller, Patrick D. “The Book of Jeremiah”, p. 723.  Nous savons bien ce qui s’en vient…les Babyloniens, sous la commande du nouveau « empereur élu » Nabucodonosor a vaincu les Égyptiens à la bataille de Carchemish en 605 av. J.-C. (c.-à-d. « la quatrième année de Joakim », une date très significative dans le livre de Jérémie : 25, 1; 36, 1; 45, 1; 46, 2), et s’est rendu à Jérusalem suite à sa victoire – afin de s’assurer que le roi Joakim – couronné par les Égyptiens en l’an 609 (après la mort de son père, Josias, dans une bataille contre le Pharaon Neco II) – sache qui était son nouveau suzerain.  Est-ce qu’il s’agit là d’un indice au sujet de la date de ses oracles?

[9] Brueggemann, Walter, pp. 179-80.

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