DOULEUR & DÉSESPOIR CHEZ JÉRÉMIE: LAMENTATIONS 1 & 2/6
Les deux premiers « psaumes de
lamentations » se retrouvent en Jér. 11, 18-23 & 12, 1-6. Les circonstances qui ont donné lieu au
premier psaume/prière est un complot pour assassiner Jérémie, conçu par ses
voisins à Anathoth (sa ville natale).[1] Jér. 11, 18-23 est composé des trois éléments
d’une prière de lamentation typique[2] : une plainte (vv.
18-19), une demande (v. 20) et la réponse divine (vv. 21-23).[3] Le langage de « mal/droit » ainsi
que la demande que Yahvé « juge et épreuve » s’agit bien du
vocabulaire de la cour. Le nom final de
la demande, « cause » (11, 20), fait référence à une cause
juridique. Le demandeur cherche à être
acquitté par Yahvé et que Yahvé lui justifie contre son offenseur. Lorsqu’on tient compte du vocabulaire
juridique, la demande pour « la vengeance » se trouve à être, non pas
une demande pour une vengeance capricieuse,[4] mais plutôt pour
l’implémentation d’une revendication juridique juste et l’implémentation de la
justice de Yahvé sur laquelle le demandeur (c.-à-d. Jérémie) a le droit de compter. Il s’agit là d’une demande juridique d’une personne
qui a été maltraitée, adressée à un juge fiable à l’encontre de ses
persécuteurs.[5] La réponse divine en 11, 21-23 vise au-delà
de la personne du prophète afin de pourvoir une vision des processus
historiques qui se déroulent sous la souveraineté souvent troublée de Dieu.[6]
La deuxième
lamentation est composée d’une plainte[7] (12, 1-4) et une réponse
(12, 5-6). La plainte soulève la
question la plus fondamentale de la foi, c.-à-d. la fiabilité de Yahvé de
soutenir et s’occuper de ceux qui sont fidèles à l’alliance. En effet, ce texte pose le problème de la théodicée
d’une manière plus directe que n’importe quel autre texte de l’ancien
Testament.[8] Pourquoi les méchants prospèrent-ils et
les justes, eux, souffrent? La réponse
de Dieu à la plainte de Jérémie ne s’agit pas d’une réplique facile. Yahvé informe son prophète que le pire est
encore à venir. Jérémie aura à vivre
avec l’incertitude qui en découle du fait de vivre une situation injuste tout
en ayant foi dans un Dieu juste. Yahvé
avertit Jérémie de ne pas faire confiance à qui que ce soit (12, 6). L’isolement du prophète avec cette réponse ressemble
à celui d’un citoyen qui découvre un complot au sein du gouvernement (voir Jér.
11, 9) mais qui n’est pas capable de le dénoncer auprès de qui que ce
soit. Cependant, à la fin de la réplique
divine, nous ne recevrons pas de réponse à la question de la justice de Dieu vis-à-vis
l’injustice humaine. La réponse de Yahvé
ressemble à celle du « discours de la tempête » qu’on retrouve dans
les chapitres 38—41 du livre de Job, qui contourne complètement la question de
la théodicée. La fidélité et l’obéissance
à Yahvé doivent être une récompense en soi.
Servir un tel Dieu est un destin dont Jérémie ne peut se débarrasser, compte
tenu du fait qu’il a été saisi par une certaine lecture de la réalité. La réponse de Dieu invite Jérémie à une
obéissance encore plus radicale.[9]
Ça va sans
le dire que Jérémie était résilient. En
dépit du fait qu’il désespérait parfois de la vie, rien ni personne ne pouvait éliminer
ce prophète (et pourtant, on a essayé). À
la fin de sa vie tragique, il a dû sûrement jeter un coup d’œil en arrière pour
réaliser que Yahvé avait bel et bien tenu sa promesse d’ « être avec lui pour
lui délivrer » (voir Jér. 1, 18-19).
Bien que Yahvé lui ait souvent sauvé la vie, il ne lui a pas épargné un
juste part dans sa souffrance – celle d’un aimant rejeté, un époux trahi, un
partenaire de l’alliance abandonné qui doit juger justement, si non pas avec
enthousiasme. Jérémie avait à endurer,
non seulement l’isolement d’une vie célibataire (voir 16, 1), mais aussi le
rejet (et souvent, la violence) de la part de presque tous les gens qui l’entouraient,
même ses voisins et sa famille (voir 11, 18ff).
Jérémie est un exemple d’une fidélité durement éprouvée. En fin de compte, l’amour de Jérémie pour Yahvé
n’était pas basée sur l’espérance d’une récompense ou avantage quelconque, mais
plutôt sur le simple fait que Yahvé, lui, est vrai (hb : sadiq).[10]
[1] Cf. Clements, R.E.
Jeremiah, Atlanta: John Knox Press, 1988, p. 82 who suggests that the
hostility might stem from Jeremiah’s perceived lack of patriotism following
Jehoiakim’s withdrawing of his allegiance to Babylon, at which time Jeremiah
began to encourage submission to the Babylonian yoke (cf. Jer. 27).
[2] Cf. Pss. 7.14;
10.2; 35.4; 36.4; 41.7; 140.2.
[3] Brueggemann,
Walter, A Commentary on Jeremiah, p. 115.
[4] Cf. Miller,
Patrick D. “The Book of Jeremiah” in The New Interpreter’s Bible: Vol. VI,
Nashville: Abingdon Press, 2001, p. 675.
[5] Brueggemann,
Walter, A Commentary on Jeremiah, p. 116.
[6] Ibid, p. 117.
[7] Cf. Miller,
Patrick D. “The Book of Jeremiah”, p. 675, who points out that the prospering
of the wicked is a direct challenge to the assumptions of Psalm 1 (cp. Ps. 1.3
with Jer. 17.7-8, 11.19).
[8] Brueggemann,
Walter, A Commentary on Jeremiah, Grand Rapids: Eerdmans, 1998, p. 118.
[9] Ibid, pp. 119-20.
[10] Cf. Miller,
Patrick D. “The Book of Jeremiah”, pp. 677-78; Brueggemann, Walter, A
Commentary on Jeremiah, p. 120.
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