DOULEUR & DÉSESPOIR CHEZ JÉRÉMIE: LA MÉTAPHORE DU TRIBUNAL

 


     Chaque personne a sa limite.  Tout le monde est vulnérable à la détresse psychologique et peut parfois remettre en question la bonté de Dieu et même se demander si la vie vaut la peine d’être vécue.  Jérémie, pour sa part, connaissait très bien la douleur émotionnelle et spirituelle.  Son langage ressemble parfois à celui de Job (comparez Jér. 20, 13-18 avec Job 3, 1-16).  Je crois que le ton « douloureux » des écrits de Jérémie est bien celui d’un prédicateur épuisé, un messager qui est au bout du rouleau.[1]  Pensez-y – Jérémie a passé 40 ans à avertir ses contemporains (en vain) du désastre imminent, après quoi la ville de Jérusalem et le Temple ont été détruits.  Non seulement était-il appelé à livrer un message dont personne voulait entendre, mais Jérémie avait aussi à faire face à l’hostilité (souvent meurtrière) de ses proches.  Alors qu’il endurait cette souffrance solitaire, Jérémie a mis par écrit 6 « confessions/ lamentations »[2], c.-à-d. 6 cris de détresse qu’il a lancé à Yahvé, et pour exprimer son angoisse et pour demander que Dieu lui défende et lui venge contre ses ennemis.  Ces cris ressemblent à ces psaumes ou une personne juste et innocente se fait persécuter injustement par les gens méchants et qui demande à Dieu de plaider sa cause (ex : Ps. 22).

     Ces prières/psaumes de lamentations utilisent beaucoup le vocabulaire du tribunal.  Dans l’ancien Testament, la métaphore de la cour fonctionne d’habitude comme suivant : Yahvé se trouve à être le juge, et les demandeurs se présentent devant lui, un accusant l’autre d’une injustice quelconque et cherchant la rétribution/compensation.  Ceci était largement la manière dont le roi d’Israël s’y prenait pour rendre un verdict juridique (ex : 1 Rois 3, 16-28; voir Ex. 18, 13-16).  Lorsque le langage de la cour est utilisé d’une manière métaphorique – comme c’est souvent le cas dans la littérature prophétique – Yahvé est le juge et Israël est le demandeur qui accuse les nations païennes de lui persécuter et demande que Yahvé lui justifie; c.-à-d. exécuter le jugement contre les païens et ainsi démontrer qu’Israël est bel et bien son peuple, et qu’il est le seul vrai Dieu du monde entier (ex : És. 51, 22; Ps. 35, 23-27).  Ainsi, le monde peut voir que la justice a été faite.  En effet, c’est le devoir de Yahvé (qui relève de son alliance avec Israël) de défendre la cause d’Israël comme son vassal si jamais elle se fait menacer par d’autres peuples.  Ceci peut avoir de l’air évident; cependant, un problème peut surgir si jamais Israël se montre indigne de la fidélité de Yahvé vis-à-vis ses devoirs comme suzerain.  En effet, le comportement de Yahvé à l’égard d’Israël – comme le partenaire sénior de l’alliance – dépend du comportement d’Israël (in/fidélité à l’alliance).  Si Israël se montre fidèle, Yahvé va lui défendre et lui accorder les bénédictions qui découlent de l’alliance; si l’opposé est le cas, Yahvé va exécuter les malédictions de l’alliance contre son peuple.

     Dans le livre de Jérémie, il y a pourtant quelques nuances au sein du scénario juridique.  D’abord, lorsque Jérémie se plaint/lamente, il se met en position du demandeur et il accuse le reste du peuple de Dieu comme étant ses persécuteurs (l’accusé)!  Jérémie insiste toujours sur le fait qu’il est innocent, juste et fidèle à sa vocation de prophète, bien que ce soit souvent agonisant.  Yahvé est obligé de lui venir en aide (n’est-ce pas?)!  Une deuxième nuance qu’on retrouve dans le thématique du tribunal sont les moments ou Yahvé joue le rôle de demandeur et accuse son peuple de lui être infidèle (voir Jér. 2, 4—4, 4).  Dans ce cas-là, le siège du juge semble être vacant…



[1] Cf. Brueggemann, Walter, A Commentary on Jeremiah, Grand Rapids: Eerdmans, 1998, p. 185.

[2] “They seem to be the most direct, candid, and intimate prayers that we know about in the OT”: Brueggemann, Walter, A Commentary on Jeremiah, Grand Rapids: Eerdmans, 1998, p. 114.

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